Pour approfondir le sujet de la marche sensible

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Cette ressource fait partie des pistes pédagogiques autour de la marche sensible. Son objectif est de proposer un outil, un dispositif, pour sensibiliser à l’espace, collecter, organiser et traduire des données sur un territoire avec une méthodologie spécifique.

Pistes de réflexion

Comme son nom l’indique, la marche sensible privilégie un questionnement sur les aspects sensibles des espaces à travers les relations éprouvées par les participants. Quelles que soient la méthode et le protocole choisis, les marches sensibles nous font prendre conscience de la variété des « objets » avec lesquels nous construisons des liens (personnes, lieux, situations, objets, végétaux, animaux, ambiances, etc.). Elles permettent de comprendre comment nous faisons lien, avec qui, avec quoi, à travers quelles actions, postures, gestes, etc. À ce titre, elles peuvent  être le point de départ de réflexions plus larges.

Voici quelques pistes pour continuer le travail sous d’autres formes (cours, débats, rencontres, recherches thématiques, résidences, ateliers, etc.). Aux accompagnatrices et accompagnateurs qui mettent en œuvre ces ateliers (encadrants, enseignants, médiateurs) de se les approprier !

Interroger nos relations, perceptions et appréciations des lieux

Dans l’expérience, notre environnement apparaît souvent à travers ce qui est apprécié (« J’aime bien ça. »), ou, au contraire, à travers ce qui est peu apprécié ou laisse indifférent. Le sens que prend un environnement dépend de la relation que nous pouvons construire avec lui et des signes qui nous l’indiquent. Les situations que nous traversons se distinguent ainsi par leur nature (interactions sociales, paysagères, d’ambiance), leur intensité (forte, moyenne, faible ou douce) et leur qualité (positivité, indifférence, négativité).

On peut décrypter les signes (ou « prises ») plus ou moins accueillants, hospitaliers et engageants que nous indique un lieu. La marche sensible permet de comprendre comment se structure une relation à un environnement. Pour cela, il est possible d’entrer dans les détails et de mener une enquête sur « l’infra-ordinaire » (Perec). Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on marche ? On voit, on regarde, on hésite, on délibère, on se raconte des histoires : par où je passe ? est-ce que je m’approche de ces objets ou de ces personnes ? est-ce que je m’en écarte ? est-ce que je ralentis ? est-ce que je touche (tel muret en pierre par exemple) ? comment est-ce que je regarde ce lieu, cette personne-ci et cette personne-là ? qu’est-ce que j’éprouve ? est-ce que je prends plaisir à ces lieux ou est-ce que je ressens du déplaisir ? est-ce que je regarde par coups d’œil discrets ou bien d’un regard panoramique qui embrasse l’espace sans focalisation particulière ?

Ces différentes perceptions constituent des manières d’être en lien. Nous sommes en effet tout le temps – d’une manière ou d’une autre – engagés dans l’élaboration d’un rapport à notre environnement. Le simple fait de faire une pause pour regarder autour est un comportement qui définit la situation dans laquelle nous nous trouvons. S’attarder, cheminer lentement, regarder avec attention ou, au contraire, traverser rapidement sont des « manières de faire lien » avec les lieux.

Le récit comme construction du rapport au monde

Le langage médiatise et organise notre rapport au monde, et tout travail d’écriture est une recherche sur le sens que nous entretenons avec lui. La description est une activité exigeante de traduction du visible en dicible au cours de laquelle la perception et l’attention s’exercent intensément. « Chercher à dire » construit une grande part de nos liens au monde. C’est une démarche à travers laquelle se constitue l’activité de « l’amateur » nous dit A. Hennion (2003) : « Le goût se fait en disant et se dit en se faisant. » L’écriture de textes poétiques est un moyen pour traduire la singularité des expériences vécues et la diversité des manières de s’attacher aux lieux. De façon générale, il n’y a d’intelligibilité du sensible que par l’exercice du langage ou d’autres médiations. Ce que vise justement à mettre en œuvre la marche sensible.

Penser les limites, percevoir les seuils et les transitions de territoires

La perception de transitions et de seuils signale des types d’environnement ou des « milieux » distincts. Selon J.-J. Gibson (2014), un milieu est une configuration matérielle définit écologiquement, c’est-à-dire à l’aune d’une habitabilité et d’usages spécifiques. Chaque milieu engage des postures du corps et des types d’attention particulière dont la modification est sensible. Lorsque nous marchons, nous avons une perception aiguë des limites entre les espaces et des transitions entre différentes situations. Selon Goffman (1973), les situations peuvent « inviter à » quelque chose ou, au contraire, « alarmer » à propos de quelque chose. Dans les espaces, urbains notamment, que nous traversons quotidiennement, existent des limites et des microterritoires (à différentes échelles). Chercher à les identifier et à les comprendre constitue l’un des buts des marches sensibles.

Penser les attachements et les engagements

Ce dispositif peut nous amener à réfléchir sur nos attachements et nos détachements. L’attachement est « une technique de rapport à soi, aux autres et au monde […] [qui a] une importance sociale et politique » (Hennion, 2003 : 291). Il produit ce à quoi on tient et, par conséquent, ce qui nous tient. Aujourd’hui, l’enjeu nous semble d’appréhender l’écologie non pas seulement négativement à travers la protection du vivant, mais aussi positivement à travers la construction de liens et de manières d’être attaché au monde.

Avec les marches sensibles, ce sont bien les appréciations, les attachements et le fonctionnement de nos engagements situés qui sont interrogés et conscientisés. À travers cette pratique, « il est possible de redonner leur importance à la fois aux objets » de nos attachements, aux petites procédures ordinaires mises en œuvre « pour en assurer la félicité », et aux « compétences qu’elles supposent » (Hennion, 2003).

Cf. Anna Guilló, « Le Dessin à l’heure du système de positionnement mondial satellitaire : une nouvelle cartographie », journée d’études Les pratiques actuelles du dessin, Palais des Beaux-Arts de Lille, université de Lille 3, centre d’études des Arts contemporains, 11 décembre 2009.

Bibliographie

Bailly Jean-Christophe, Le Dépaysement. Voyages en France, Paris, Seuil, 2011.
Certeau (de) Michel, L’Invention du quotidien. I. Arts de faire, Paris, Gallimard, 2002.
Dewey John, L’Art comme expérience, Paris, Gallimard, 2010.
Gibson James J., L’Approche écologique de la perception visuelle, Paris, MF éditions, 2011.
Goffman Erving, La Mise en scène de la vie quotidienne. 2. Les relations en public, Paris, Minuit, 2000.
Hennion Antoine, « Ce que ne disent pas les chiffres… Vers une pragmatique du goût », in Donnat O., Tolila P. (dir.), Le(s) Public(s) de la culture. Politiques publiques et équipements culturels, Presses de Sciences Po, 2003, p. 287-304.
Joseph Isaac, La Ville sans qualités, La Tour d’Aigues, L’aube, 1998.
Laplantine François, La Description ethnographique, Paris, Armand Colin, 2015.
Perec Georges, Espèces d’espaces, Paris, Galilée, 2006.
Petiteau Jean-Yves, Pasquier Élisabeth, « La méthode des itinéraires : récits et parcours », in Grosjean M., Thibaud J.-P. (dir.), L’Espace urbain en méthodes, Marseille, Parenthèses, 2001, p. 63-78.
Pichon Pascale, Herbert Fanny (dir.), Atlas des espaces publics. Saint-Étienne, une ville laboratoire, Saint-Étienne, Presses universitaire de Saint-Étienne, 2014.
Ponge Francis, Le Parti pris des choses, Paris, Gallimard, 1967.
Sansot Pierre, Poétique de la ville, Paris, Payot, 2004.

LES AUTEURS
Olivier Ocquidant est doctorant en sociologie à l’université de Saint-Étienne, au laboratoire « Centre Max Weber ». Il mène une thèse sur les formes sensibles de l’urbanité et anime des ateliers de type marche sensible. Il enseigne à l’université et en écoles d’architecture.
Mireille Sicard est architecte DPLG, CEAA Les métiers de l’histoire de l’architecture, ENSAG. Elle est aussi directrice de la Maison de l’architecture de l’Isère, responsable du GT Pédagogie du RMA et chef de projet d’ArchipédagogiE.org. Elle enseigne la médiation de l’architecture à l’école nationale supérieure d’architecture de Grenoble.
Sabine Thuilier est architecte, enseignante à l’école nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand, et membre associée du Groupe de recherche en formation ressources. Fondatrice et codirectrice artistique de Pixel[13], art(s), architecture(s) et territoire(s), qui développe, depuis vingt ans, créations in-situ et ateliers jeune public, elle y expérimente la marche comme acte artistique sur différents territoires.
Valérie Vedrenne est conseillère Architecture, Patrimoine et Musées à la délégation académiques aux arts et à la culture de Grenoble, coordonnatrice du PREAC Architecture pour la région ARA. Elle enseigne les arts plastiques en établissement du secondaire.

COORDINATION DE LA RESSOURCE
École nationale supérieure d’architecture de Grenoble
École nationale supérieure d’architecture de Saint-Étienne
Canopé Auvergne-Rhône-Alpes
Rectorat DAAC de Grenoble